Lettre ouverte à Monsieur le Ministre de l’Intérieur concernant les suicides au sein de la Police Nationale
Nous avons été reçu hier, place BEAUVAU. Au cours de cette réunion nous avons remis ce courrier, pour essayer que la réunion du vendredi 24 novembre, ne soit pas juste une "farce"
Monsieur le Ministre de l’Intérieur,
Vous allez réunir les syndicats « dits représentatifs » pour faire un bilan des mesures psychosociales. J’insiste sur « dits » car ils ne le sont que parce qu’ils exercent un « chantage » auprès nos collègues pour l’obtention de leurs avancements et mutations. D’ailleurs, ce « clientélisme » a été reconnu à plusieurs reprises par la juridiction administrative, notamment par le Tribunal Administratif de Cergy-Pontoise, 21 novembre 2013, requête n°1107811 et 1101417. De plus, ces organisations syndicales « dites représentatives » protègent la hiérarchie administrative quand elle commet des manquements graves, comme une « incitation au suicide », ou d’aider l’administration à « se débarrasser » d’un fonctionnaire, qui a porté plainte pour harcèlement contre sa hiérarchie.
Vous allez réunir également la haute hiérarchie déconnectée, qui impose une politique du chiffre, basée sur une culture du résultat d’apparence, engendrant une souffrance éthique, ainsi qu’une organisation du travail de type « taylorienne » et des méthodes managériales perverses et destructrices (injonctions paradoxales, harcèlement, etc.). La psychologue Nadège GUIDOU démontre tout cela dans son livre « Malaise dans la Police » paru aux éditions EYROLLES, en 2012.
En résumé vendredi, Monsieur le Ministre, vous allez réunir toutes les personnes qui participent activement aux causes de la souffrance psychologique des personnels de la Police Nationale. Croyez-vous sincèrement qu’elles vont reconnaître qu’elles participent à des infractions sanctionnées pénalement et administrativement ? Nous pensons au contraire, que comme d’habitude, elles vous diront que tout va bien.
Monsieur le Ministre si vous voulez mettre fin au malaise qui règne au sein de la Police Nationale, nous vous proposons de vous attaquer à ses causes, plutôt que d’essayer de limiter les conséquences. Cela est valable pour les personnels de tous corps car c’est l’organisation structurelle de notre institution qui pose problème.
Quelles sont les causes structurelles dans la Police Nationale :
La perte de sens de nos métiers :
On nous demande de remplir des statistiques. En plus d’être chronophage, elles ne traduisent en rien la réalité de terrain, mais uniquement les besoins de primes et de déroulé de carrières de certains chefs de service et directeurs. On le constate actuellement à Marseille, où malgré les rapports des collègues, une intervention syndicale, Monsieur le Directeur Général n’a déclenché une enquête uniquement après la parution d’un article dans le Canard Enchaîné. Il est triste que notre institution accepte de telles pratiques.
Toujours sur la perte de sens, nous devons apporter davantage de protection et donner plus d’attention aux délinquants et criminels qu’à leurs victimes. La procédure pénale est chronophage et inadaptée à la réalité d’aujourd’hui donnant l’impression de travailler pour rien.
Ce sont les points qui concernent le plus grand nombre d’entre nous, mais l’incohérence des ordres reçus et les injonctions paradoxales touchent également les CRS, les services de renseignements, la formation, les garages, etc.
Il faut dire que depuis le nouveau Code de Déontologie de la Police Nationale de 2014, qui reprend certaines dispositions du Code de la Fonction Publique de Vichy, a enlevé de nos missions « la garantie des libertés individuelles » et nous ne devons plus protéger la « République » mais les « les intérêts nationaux ». C’est le fondement même des valeurs édifiant notre engagement, lequel est remis en cause. On ne doit plus défendre le peuple, mais les « puissants » …
Une organisation du travail destructrice et pathogène :
Le cycle de travail le plus répandu est le 4/2 : 4 jours de travail et deux jours de repos. Soit un week-end sur six, mais une fois sur deux les fins du service vendredi à 23h00 et reprise le lundi matin 5h, nous empêchent d’avoir une vie familiale épanouie.
De plus, ce cycle ne nous permet pas de bénéficier des mêmes jours de repos d’une semaine à l’autre. Nous ne pouvons pas nous inscrire dans des associations, clubs sportifs… nous empêchant d’avoir une vie sociale convenable.
Cette organisation entraîne des divorces et/ou des séparations. Ainsi les personnels de la police ne voient plus leurs enfants, car ils ne sont pas disponible un weekend sur deux. Leurs métiers n’ayant plus aucun sens, leur vie privée et familiale étant détruites à cause de notre institution, certains collègues sombrent dans la dépression, l’alcoolisme ou font des burn-out. Un policier par semaine se suicide depuis les années 1980, soit 1500 environ. Notre institution a provoqué la mort de trois fois plus de collègues que les criminels en moins de 40 ans.
Ce cycle de travail a même été reconnu pathogène par la médecine statutaire en 1995 !
Vous-même avez reconnu que le cycle 2-2-3, permettant d’avoir un week-end sur deux serait l’idéal, mais ne serait pas mis en place, car trop « consommateur » en effectifs. Vous proposez une solution, mais les vies de ceux qui se donnent pleinement pour assurer la sécurité de tous, passent après des contraintes budgétaires !
Cette organisation du travail est encore plus pathogène depuis 2015 surtout depuis la mise en place de l’état d’urgence permanent, où nous sommes passé de 16 à 20 millions d’heures supplémentaires accumulées. Certains collègues ont effectué parfois 400 heures supplémentaires en un mois, soit 8 heures de repos maximum, sans week-end, ce qui est totalement illégal. Des collègues se sont endormis au volant d’épuisement en rentrant chez eux, leurs corps ne soutenant pas ce rythme physiologiquement toxique.
Pratiques managériales « délétères » :
Nous avons une hiérarchie qui adopte majoritairement des techniques managériales « peu vertueuse » (heureusement qu’environ 20% de la haute hiérarchie a une réelle volonté de défendre « ses gars »).
Elle culpabilise les personnels en reportant ses incohérences et son incompétence sur ses subordonnées. Elle est aidée pour cela par le Code de Déontologie de la Police Nationale, qui prévoit la notion très subjective de « discernement ». Si « les résultats » sont bons le « chef » a fait preuve de discernement. Dans le cas contraire ce sont les subordonnés qui ont manqué de discernement.
Elle ne communique pas clairement les orientations et les objectifs qu’elle attend de nous, tout en niant les évidences, avec des phrases du type : « T’as mal compris, j’ai pas dit les choses dans ce sens-là… », « J’ai pas fait ça dans ce but… », etc. Parfois elle travestie même la réalité.
Elle est armée de raisons logiques. Là où une demande aurait reçu le plus mauvais accueil avec un autre, les apparentes raisons logiques qu’elle avance créent l’acceptation. Ainsi, des collègues se retrouvent à accepter des faits qu’ils n’auraient jamais approuvés normalement, ce qui créé un malaise psychologique.
Pour notre hiérarchie nous devons être parfaits. Nous ne sommes pas des humains mais des matricules pour qui la perfection n’est pas une option ! Elle nous fait croire que nous devons répondre immédiatement aux questions qu’elle pose. Ainsi nous devons tout savoir et réagir à ses demandes au « quart de tour ».
Elle critique et dévalorise sous couvert de l’humour au début, puis émet des jugements de valeurs sur les personnels. Elle insinue le doute sur nos qualités, nos compétences et plus généralement notre personnalité. Avec elle, la personne que vous croyez être aura peu à peu perdu toute importance. Nous devenons banals, inintéressants, voire extrêmement inférieurs. Cela est institutionalisé dans nos notations, où notre hiérarchie note la « confiance accordée » et les « les relations hiérarchiques ».
Elle divise pour mieux régner, en semant la zizanie avec des primes « au mérite », des avancements et des mutations « pistons ». Elle brise progressivement les amitiés et les groupes dans l’optique d’obtenir ce qu’elle désire.
La hiérarchie Police Nationale repousse les demandes légitime par stratégie du différé, elle préférera ensuite s’esquiver poliment en prétextant toujours une raison valable.
Elle use des menaces de manière déguisée ou de chantage ouvert. Dans les deux cas, les collègues doivent se plier à ses exigences. Pour cela, elle détourne la procédure disciplinaire ou la médecine statutaire de leurs fonctions de soigner pour réprimer.
La hiérarchie élude les questions qui la met mal à l’aise, change de sujet comme si elle n’avait pas entendu la question. Par exemple quand on demande à notre hiérarchie pourquoi les policiers se suicident, elle avance de suite que nous sommes armés. Ce vieux débat sur les moyens n’est qu’une diversion pour masquer la cause. L’arme est utilisée dans 50% des cas et il n’y a pas plus de suicide chez les chasseurs et les tireurs sportifs. Par contre, les agriculteurs qui ont perdu le sens de leur métier, sont pris à la gorge par leurs créanciers et n’arrivent plus à vivre dignement malgré leur investissement. C’est la deuxième profession la plus touchée après la nôtre. Et eux n’ont pas d’armes…
Autre exemple quand on l’accuse de « carambouiller » les chiffres de la délinquance, elle parle d’une rancœur personnelle de certains fonctionnaires contre elle, pour se positionner en victime et ne pas répondre à la question.
Elle mise inlassablement sur l’ignorance des personnels pour profiter de sa supériorité, en abusant de la méconnaissance des textes en vigueur.
Elle prêche le faux pour savoir le vrai. Cette stratégie a essentiellement pour but de tester son emprise, la confiance et la servilité de ses subordonnés.
Elle est égocentrique et rapporte tout à elle-même d’une façon très naturelle. Elle est la plus forte et la meilleure.
Elle ne supporte pas d’être critiquée, car elle ne veut et ne peut pas être perçue négativement. L’image POSITIVE qu’elle veut renvoyer est capitale, pour ne pas dire vitale même, car il lui est insupportable de paraître différemment. D’où un panier de devoirs (réserve, loyauté…) pour museler et sanctionner toutes critiques légitimes.
Notre hiérarchie néglige nos droits, nos moyens (organisationnels, structurels, matériels…) par souci d’économie d’échelle, remettant en cause notre épanouissement professionnel, notre bien physique et psychique.
Notre hiérarchie provoque un sentiment de non-liberté et de dépendance. Nous ne pouvons pas quitter la Police Nationale facilement, même si nous savons que structurellement l’institution est malsaine.
Elle est d’une efficacité remarquable pour atteindre ses objectifs aux dépens des autres. Elle sait parfaitement utiliser autrui pour obtenir ce qu’elle veut. Il faut dire que certains commissaires perçoivent des primes annuelles de plus de 100 000€ sur le « rendement » de leurs effectifs.
Sous l’apparence d’une hiérarchie attentionnée, elle est pourtant dénuée d’empathie. Elle fait preuve d’une froideur émotionnelle incroyable, sauf si les collègues justifient que leur mal-être est de sa faute. Dans ce cas de figure, elle fera tout pour prouver le CONTRAIRE, ce qui est d’ailleurs l’objet de la réunion de vendredi au Ministère de l’Intérieur.
Le détournement du pouvoir disciplinaire :
Dans la Police Nationale, il n’y a pas d’échelle de sanction et pas de faits fautifs. C’est l’administration qui détermine ce qui est un fait fautif, « à la tête du client ».
Par exemple, un collègue a été révoqué au prétexte qu’il avait donné une mauvaise image, car il avait été pris à parti lors d’une rixe, malgré sa reconnaissance pénale en tant que victime par la Justice. Après neuf ans de bataille procédurale auprès de la juridiction administrative, il fut réintégré. Dès sa reprise, sa hiérarchie lui déclare à l’appel : « vous voyez ce collègue, il a perdu 9 ans de sa vie pour faire valoir ses droits. Est-ce que vous êtes prêt à faire pareil ? Sinon obéissez aveuglément et ne faites pas de vague, car pour vous « virer » c’est juste un jeu d’écriture, qui prend quelques minutes » …
Mais encore un collègue en dépression, pour harcèlement de la part de sa cheffe de service, a été sanctionné pour « manque de disponibilité », pour cause de son arrêt maladie !
Détournement des missions de la médecine statutaire :
Un médecin a prêté un serment, normalement celui d’Hippocrate, mais chez nous c’est plus celui d’hypocrite. La plupart (heureusement certains résistent encore), donnent des prescriptions médicales conformes aux attentes de la hiérarchie police, sans même ausculter les collègues. Pire ces médecins essayent de « virer » pour raison médicale des collègues en dépression suite à un harcèlement, au lieu de leur proposer des solutions de reclassement. D’ailleurs, quand la médecine de prévention propose une mutation, le collègue étant apte à travailler n’importe où mais pas sous les ordres de ses « harceleurs », la médecine statutaire et la hiérarchie administrative ne tiennent pas compte de cet avis et obligent le fonctionnaire à reprendre sous les ordres de personnes nuisant à sa santé. Si ce n’est pas une volonté de le détruire, qu’est-ce ?
L’ordre des médecins a été saisi cette année pour de telles pratiques et nous attendons le verdict.
Comment sont gérées les conséquences de ce choix organisationnel ?
Dissuasion d’avoir recours au psychologue et de s’arrêter :
La hiérarchie dissuade les collègues d’avoir recours au soutien psychologique, leur faisant comprendre qu’ils passeraient pour des faibles et les culpabilise, en leur rappelant que leurs collègues assureront leur travail à cause du manque d’effectifs. La hiérarchie accentue la pression psychologique, au lieu de veiller au bien être psychologique de ses personnels.
De plus Monsieur CAZENEUVE, dans son plan « anti-suicide », a autorisé la levée du secret médical pour que la hiérarchie, qui souvent harcèle, ait connaissance des problèmes psychologiques de l’agent. Donc de nouvelles pressions.
Enfin, sur nos notations est inscrit le nombre de jours d’arrêt maladie, ce qui conditionne nos avancements et mutations. Se soigner nuit gravement à notre carrière.
Réaction de l’administration quand un collègue se suicide ou fait une tentative :
Une collègue qui a fait une tentative sur son lieu de travail a été poursuivie par son harceleur direct jusque sur son lit d’hôpital et c’est le personnel hospitalier qui a dû le mettre à la porte.
Quand un collègue fait une tentative de suicide, interdiction d’en parler, sous prétexte qu’une enquête est en cours.
D’ailleurs, à la différence de France Telecom, c’est la police qui enquête sur elle-même. On demande à l’Inspection Générale de la Police Nationale, qui a aussi un rôle de conseil dans la gestion des services, de faire un audit pour savoir si ses préconisations ont abouti à un suicide ou à une tentative. La réponse est que l’administration, juge et parti, s’auto innocente, ce qui l’empêche de se remettre en cause structurellement, vu que tout va bien !
Les solutions sont connues : il faut juste du courage politique
- Redonner un sens au métier de policier pour nous permettre de garder la paix et non de produire des statistiques sous le diktat d’une politique du chiffre, en demandant un rendement qualitatif et non quantitatif.
- Donner une plus grande importance à la prise en charge des victimes, qu’à celle des délinquants et criminels.
- Nous donner des conditions de travail digne pour accomplir nos missions efficacement.
- D’étendre le nouveau cycle horaire, permettant d’avoir un week-end sur deux à tous les collègues, en renforçant les services en conséquence. Ce cycle permet de plus une meilleure formation.
- Mettre fin à l’accumulation des heures supplémentaires, nous avons besoin de repos.
- Que le Ministère de l’Intérieur, notre employeur, prenne en charge comme il est obligé légalement, tout ou une partie de notre mutuelle, comme cela est appliqué dans le reste de la fonction publique.
- Privilégier les mutations à caractère social par rapport aux mutations « ponctuelles » des syndicats dits représentatifs.
- Qu’on puisse bénéficier du 75% SNCF, comme nos collègues militaires, pour que ceux qui sont éloignés géographiquement de leur famille.
- Proposer des crèches pour nos enfants en adéquation avec nos horaires, même si nous devons faire des heures supplémentaires, y compris la nuit ou le week-end, etc.
- Avoir un système de mutations et d’avancements transparents, prenant en considération des critères objectifs et chacun ait connaissance du motif de refus.
- Mettre fin au détournement de la procédure disciplinaire, qui pour le moment relève de la « lettre de cachet » de l’Ancien Régime. Que les collègues puissent avoir un ordre d’idées des faits sanctionnables et à quelle hauteur, par la publication d’une « jurisprudence disciplinaire » Police Nationale.
- Supprimer la médecine statutaire, pour une médecine de prévention indépendante.
- Que ce ne soit pas la Police Nationale qui enquête sur elle-même uniquement, mais qu’il y ait aussi des services indépendants.
- Supprimer le Code de Déontologie de la Police Nationale, pour le réécrire conformément au Code Européen d’Ethique de la Police, signé par la France en 2001.
Nous nous tenons à votre disposition pour une audience auprès de votre autorité.
En l’attente d’une réponse de votre part, je vous prie de croire, Monsieur le Premier Ministre, à l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Alexandre LANGLOIS
Secrétaire Général
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